Portrait de Dominique Rinaldo

Portrait de Dominique Rinaldo

Chercheuse à INRAE, Dominique travaille aujourd’hui sur la qualité de l’igname : les questions qu’elle étudie participent aux transitions agroécologiques pour répondre aux défis alimentaires.

La richesse d’un parcours professionnel diversifié

Dominique a eu un parcours professionnel riche, entre résistance à la chaleur des porcs, qualité de la viande et aujourd’hui qualité de l’igname. Elle revient sur ses années étudiantes, dans une école d’agronomie pour femmes, qu’on n’imaginerait plus aujourd’hui…

Océane : Peux-tu nous parler un peu de ton parcours professionnel ?

Dominique :  J'ai réalisé mes études à l'ENSFA (Ecole nationale supérieure féminine d'agronomie), à Rennes. Ensuite j'ai fait une thèse à l'INRA à Rennes, plutôt en zootechnie. J’ai eu un parcours un peu atypique : mes spécialités ont beaucoup évolué ! J'ai travaillé pendant 10 ans en production porcine, sur l’alimentation et la résistance à la chaleur. Ensuite, je me suis orientée vers la qualité des produits :  j’ai d’abord abordé la qualité de la viande, puis j’ai travaillé sur la qualité des produits végétaux. J’ai commencé avec la banane dessert et puis je me suis orientée vers la qualité des tubercules tropicaux.

Océane : L’ENSFA était une école pour femmes je suppose. On n’imaginerait pas aujourd’hui une école d’agro non mixte…

Dominique : C’était une école d’ingénieurs pour femmes. On pouvait rentrer sur concours, directement après le Bac, sans passer de prépa. A l’époque, l’intérêt c’était de faciliter le parcours post-bac des femmes. Aujourd’hui quand on voit la parité ça se justifie moins. A côté de l’ENSFA, il y avait l’ENSA, mixte, et accessible après prépa. La plus grande différence se situait là finalement : les étudiants de l’ENSA ne nous appréciaient pas du tout, peut-être parce qu’on avait la chance d’obtenir un diplôme d’ingénieur sans passer par la prépa.

Océane : Pourquoi avoir choisi cette école ?

Dominique : Sortant de Guadeloupe ce n’était pas évident. L’année du bac, j’avais postulé à des écoles et à des classes préparatoires, on m’avait retourné certains dossiers en me disant qu’on n’acceptait pas les bacheliers de Guadeloupe : on me disait qu’ils n’avaient même pas ouvert le dossier ! Aujourd’hui, l’ENSFA été remplacée par l’INSFA, ils ont changé le F de Féminine en Formation.

 AgroEcoDiv pour accompagner des agendas de recherche : la qualité de l’igname à la loupe

Au cours de ses recherches sur la qualité de l’igname, Dominique a étudié divers aspects, comme l’appréciation des qualités organoleptiques par les consommateurs, les causes du brunissement, les effets des systèmes de production sur la qualité…

Océane : Tu travailles sur quoi aujourd’hui dans AgroEcoDiv ?

Dominique : On a observé que certains nouveaux hybrides d'ignames, qui ont été sélectionnés pour leurs résistances aux maladies, notamment l'anthracnose, ont des défauts de qualité, principalement le brunissement à la coupe. Donc je travaille à la compréhension des causes de ce brunissement. On collabore avec une équipe spécialiste de la chimie des polyphénols de la région de Rennes pour utiliser du matériel de pointe, type spectro de masse. Ça permet d'identifier des molécules, des polyphénols présents dans l'igname, responsables du brunissement.

Océane : Que peut-on dire sur le brunissement de l’igname ? Quelles en sont les causes ?

Dominique : Il y a quelque temps, j’ai réalisé une étude impliquant des collègues du Centre comme consommateurs, pour savoir quelles étaient les variétés d’ignames les plus appréciées d’un point de vue organoleptique. On se rend compte, qu’en Guadeloupe comme dans de nombreux autres pays, il y a une corrélation négative entre appréciation globale et brunissement : plus le brunissement est fort, plus le consommateur aura tendance à rejeter le produit. On a mis en évidence que le brunissement à la coupe est lié à la fois à la quantité de polyphénols, et à la composition en polyphénols. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’AgroEcoDiv 1 (https://doi.org/10.1016/j.lwt.2022.113410). On s’est rendu compte que le brunissement s’opère à la fois à la coupe et en cours de cuisson. L’étape de cuisson est donc également importante dans la compréhension du phénomène de brunissement. Aujourd’hui, je m’intéresse aussi à la question des effets des systèmes de production sur la qualité organoleptique de l’igname : on formule l’hypothèse que la qualité du produit est meilleure s’il est produit dans des systèmes agroécologiques. On a mis en place une expé sur la ferme pilote d’AgroEcoDiv. C’est un travail qui est en cours, en collaboration avec Dalila Pétro et Audrey Fanchone.

Océane : Tu as une idée des questions de recherche posées pour le prochain projet européen ?

Dominique : Grâce à un projet international auquel je contribue (projet RTBFoods), j’ai pu échanger avec des collègues du Bénin qui ont travaillé sur la différenciation de la qualité par différents types d’acteurs. Ce qu’on met derrière « qualité », ce n’est pas la même chose si on parle à des producteurs, à des consommateurs, ou à des agro-transformateurs. Par exemple, au Bénin, les femmes qui vendent l’igname vendent à proximité du lieu de production ; les hommes vont avoir tendance à aller plus loin, sur de plus grands marchés pour vendre leur production : pour les hommes qui commercent, l’aspect « conservation » sera plus important dans la qualité, que pour les femmes par exemple. J’aimerais bien faire une enquête en Guadeloupe auprès de différents profils d’acteurs.

 La qualité des produits pour les transitions des systèmes alimentaires

Les questions de qualité des produits sont des dimensions importantes pour relever les défis alimentaires qui se posent aujourd’hui : par une reconsidération de la qualité, Dominique estime que l’on peut proposer des pistes pour lutter contre l’obésité.

Océane : Finalement, quelles sont les variétés d’ignames les plus appréciées ?

Dominique : Les variétés d’ignames les plus appréciées des producteurs et des consommateurs sont des variétés anciennes. C’est l’igname pakala, qui d’ailleurs ne s’oxyde pas. Les nouveaux hybrides ne sont pas forcément toujours disponibles pour la mise en culture.

Océane : Pourquoi travailler sur la qualité des produits ?

Dominique : Tout ce qui est qualité des produits dans le monde tropical, c’est important pour répondre au défi alimentaire. C’est important parce qu’il y a une épidémie d’obésité dans le monde et elle nous touche aussi en Guadeloupe : 6 guadeloupéens sur 10 sont en surpoids ou obèses, et ça touche beaucoup les jeunes. J’ai pu constater en faisant des interventions dans des écoles que beaucoup de jeunes connaissent mal les fruits et légumes locaux. Pour moi, réintroduire les aliments locaux dans l’alimentation c’est une façon de lutter efficacement contre l’obésité. Et pour ça, il faut s’intéresser à la qualité des produits !

Océane : Quelle place donnerais-tu à l’igname pour répondre à ces défis ?

Dominique : Les tubercules contiennent 4 à 5 fois moins d’énergie que les céréales, pour 100 grammes de produits et sont riches en micro-nutriments. Pour moi, utiliser ces aliments locaux dans l’alimentation serait une façon de lutter contre l’obésité et les maladies métaboliques. Ce qui peut limiter l’utilisation des tubercules, c’est que les modes d’alimentation ont changé, et on consacre moins de temps à la cuisine. Il est indispensable de proposer des produits prêts à l’emploi, grâce à l’agro-transformation. Il faut tenir compte de l’évolution de la société.

Date de modification : 05 juin 2023 | Date de création : 27 avril 2022 | Rédaction : O.Biabiany